Ce jury de Master 2 en Communication visuelle et graphique est un outil permettant aux personnes déracinées de se reconnecter avec leur pays d’origine grâce à la métaphore du pays imaginaire. Le choix du sujet provient d’une simple question que je me suis posée : en tant que personne adoptée, te sens-tu belge, indienne, les deux ou encore aucun des deux ? Je me suis donc tournée vers les personnes issues dans une situation d’immigration et d’adoption internationale car elles sont multiculturelles. Quel rapport ces individus entretiennent-ils avec leur territoire ? J’ai souhaité proposer un outil graphique afin de mettre en avant leur histoire et leur point de vue sur cette situation qui est malgré tout une véritable richesse. La démarche du design social est apparue comme une évidence par conséquent j’ai réalisé un atelier collectif au Centre d’accueil de la Croix Rouge de Bierset et plusieurs ateliers individuels avec des personnes adoptés chez moi avant la confinement. Grâce à ce pays imaginaire, ces personnes remplissent ces vides liés à la notion d’appartenance et de territoire de façon utopique mais en laissant transparaitre leur réel point du vue sur leur multiculturalité.

Atelier collectif au Centre d’accueil de la Croix Rouge [Bierset] et atelier individuel [chez moi]

Hesham, Mahmood, Samir, Leonard et Samir © Sophie Lemperez
© Sophie Lemperez
© Sophie Lemperez

Atlas des pays imaginaires

J’avais depuis longtemps l’idée de créer un nouveau monde imaginaire composé de pays imaginaires créés lors des ateliers. Il était convenu il y a quelque mois, qu’une exposition se tiendrait au Point Culture Liège afin de partager les résultats des ateliers et les productions graphiques qui en découleraient lors d’un vernissage. Malheureusement à cause de la crise du Covid-19, l’exposition a dû être annulée ainsi que les ateliers prévus.

Vu les circonstances exceptionnelles, la création d’un atlas m’a paru évidente car il me permettrait de détourner les codes sémiologiques de la cartographie et de plus, mes recherches dans le cadre mon mémoire, m’ont fait découvrir la carte sensible. Je me suis concentrée sur cet angle de création et j’ai rassemblé les productions faites lors des ateliers et mes recherches visuelles en un atlas de pays imaginaire.

Collage et perforation

Graphiquement, j’ai joué sur le concept suivant : ce sont des personnes qui ont des morceaux manquants ou oubliés dans leur histoire, leur identité… Comment combler ces manques ? Leur identité est-elle morcelée par les territoires différents auxquelles ils appartiennent ? J’ai donc isoler des formes abstraites des pays imaginaires créés afin de recouvrir certaines parties pour représenter ces morceaux qui viennent prendre place dans ces manques. Ces petits papiers découpés colorés viennent remplir les zones inconnues ou oubliés de l’histoire des personnes déracinées que ce soit par l’adoption ou pas l’immigration.

Le format de l’édition est justifié par mon envie de représenter une ligne du temps imaginaire relatant les histoires des personnes adoptées et/ou en situation d’immigration et les explications sont indiquées sous formes de notes de bas de page car elles m’évoquent les documents administratifs nécéssaires à la fois pour les procédés de l’immigration tout comme de l’adoption.

Le challenge a été de me détacher des résultats obtenus, je n’osai pas trop y toucher par peur de dénaturer leur travail. Je tenais absolument a respecté leur choix artistiques cependant il a fallu que je m’affirme d’avantage afin que je puisse amener un aspect graphique personnel, sûr et assumé. Les différentes techniques développées pour les ateliers sortaient complètement de ma zone de confort par son aspect visuel très coloré et plutôt dense.

Après les ateliers, j’étais finalement noyée dans toutes ces informations et je ne savais plus par où commencer. Malheureusement, je suis restée trop longtemps bloquée sur mon idée de base (une vraie tête de mule) et surtout bloquée par ma peur de modifier à outrance les résultats des ateliers. Par conséquent, le déclic est venu récemment et j’ai pu revoir l’aspect graphique du projet par une approche beaucoup plus « minimaliste » et abstraite. Je voulais depuis le départ, créer des cartes imaginaires mais qui n’auraient pas l’aspect visuel habituel cartographique. Finalement, je suis restée coincée sur des visuels qui ressemblaient à des cartes alors que je voulais justement éviter cela afin de plonger le spectateur dans un monde sans repère…

 

 

"Atlas de pays imaginaire" sur "Un rêve de pierre vivante" de Groupe TOUT / Paul Gonze (1982) © Sophie Lemperez

Au départ je souhaitais intégrer dans mon édition des témoignages de personnes adoptées et de personnes immigrées mais la barrière de la langue a posé problème (ce qui est logique mais je n’y ai pas pensé sur le moment) autant à l’oral qu’à l’écrit. De plus, les notions abordées par l’atelier sont plutôt complexes déjà en français, alors une question s’est posée : comment raconter son histoire sans écrire ? J’ai donc mis en place un protocole pour les ateliers mais qui a évolué tout au long du projet et adapté aux deux publics que j’avais choisi. Le Centre d’accueil de la Croix Rouge à Bierset où j’ai pu effectué l’atelier propose des cours de français donné par Lavinia Cordonnier mais ils ne sont obligatoires donc le nombre de participants était aléatoire. Dans le cadre de l’atelier, une étape consiste à écrire un souhait pour le futur et les éléments qu’ils aimeraient voir dans leur pays imaginaire. À l’aide de mots collés sur des aimants, les participants ont pu s’exprimer de manière positive (utopique peut-être…) sur leur futur et cela m’a permis d’intégrer le cours de français à mon projet.

Les ateliers réalisés individuellement avec des personnes adoptées n’ont pas été épargnés non plus de la crise du Covid-19. À ma grande surprise, lors de ma recherche de participants, beaucoup de personnes adoptées se sont manifestées sur Facebook et ont répondu positivement malgré le fait que ce soit un sujet encore un peu tabou actuellement. J’ai donc invité Alice et Alexandre chez moi car cela aurait été étrange de faire un atelier collectif composé uniquement de personnes adoptées… Alexandre a été le premier avec qui j’ai testé l’atelier et malheureusement pour lui, il a été le participant du prototype car à la suite de cela, j’ai changé beaucoup d’éléments dans le protocoles des ateliers.

 

 

 

Pays imaginaire d'Alice
©Sophie Lemperez

Drapeaux des pays imaginaires

Je me suis également intéressée à la géographie et à l’identité :

comment est représentée l’identité d’un territoire ? C’est là qu’a surgi l’idée des drapeaux. De base, les drapeaux que j’avais élaborés sur base des résultats des ateliers ne ressemblaient absolument pas à des drapeaux, j’avais simplement fait une composition globale pour chacun reprenant l’ensemble des éléments visuels créés… Il y avait beaucoup trop d’information pour un drapeau qui se doit d’être simple et impactant. J’ai donc fais une sélection dans la matière récoltée des ateliers afin de simplifier au maximum ces visuels pour que le rôle du drapeau soit rempli.

Idéalement, les drapeaux sont imprimés en sérigraphie sur un tissu transparent pour exprimer la notion de mouvement, de déplacement et de flou présent dans le vécu des personnes adoptées et immigrées et le brouillage de la notion de frontière. Afin d’apporter une dimension sensible et engagée, j’ai choisi de faire deux types de drapeaux :

– des drapeaux représentants les pays imaginaires abstrait et colorés (horizontaux)

– des drapeaux avec simplement les souhaits des participants écrits en noir (verticaux)

En raison du confinement, je n’ai pas pu les imprimer en sérigraphie mais je tenais à au moins faire une simulation à l’aide de tiges en bambou et de papier transfert (que je ne maitrise pas encore très bien, la preuve j’ai cramé mes images au fer à repasser). J’avais prévu de découper dans le tissu afin de créer cette fameuse perforation récurrente dans le concept de ce jury (la forme blanche)mais étant donné que c’est du plastique fondu sur du tissu je n’ai pas réussi à le découper proprement, j’ai donc préféré les laissé tels qu’ils sont pour éviter de les abimer.

Pour mettre en scène ces drapeaux, la notion de frontières étant récurrente et un mot-clé du projet, je me suis rendue à un frontière afin de les planter et les intégrer au territoire. C’était une sorte de démarche dans le but d’affirmer cette richesse qu’est la multliculturalité et revendiquer ainsi la relation particulière qu’entretiennent les personnes immigrées/adoptées avec leur(s) pays. Lorsque mes parents et moi même nous nous sommes rendu à la frontière belgo-hollandaise, les cyclistes (il n’y avait que ça) regardaient avec curiosité c’est pour cela, que par la suite j’aimerai les mettre dans un endroit plus visible et plus fréquenté afin que les gens s’interrogent.

Drapeaux des souhaits

Simulation du drapeau à souhait de Khalil

Cartes postales

Le mot mouvement / déplacement est aussi un autre mot clé de mon jury, j’ai donc cherché un support qui évoque cette notion, qui raconte aussi une histoire et qui fait office de trace. J’ai donc pensé à la carte postale car finalement les pays imaginaires élaborés par les participants le représente en partie selon leur souvenirs matériels et immatériels. La découpe dans la carte au niveau de l’endroit dédié à l’adresse symbolise le rapport flou qu’ils ont avec leur(s) territoire(s) et leur ressenti identitaire : des repères oubliés, disparus, laissés au pays, combler ces souvenirs et arriver dans un pays complètement différent.

J'ai choisi un deuxième endroit pour exposer mes cartes postales : l'oeuvre "Transit" de Tapta, sculptrice belge (1992) installée dans le Musée en plein air du Sart-Tilman. Le titre de l'oeuvre est assez évocateur mais il invite au déplacement, au mouvement et crée un interraction avec le spectateur

J’aimerai continué ce projet sur un plus long terme afin de créer un outil que je pourrai mettre à disposition des assistantes sociales, d’organisations venant en aide aux personnes immigrées etc. Pourquoi pas un jeu pour devenir explorateur et inventeur de son pays imaginaire ?

 

Merci !

Merci également à Lavinia Cordonnier, Alice, Hesham, Khalil, Alexandre, Mahmood, Leonard et Samir.