Zone À Brûler

« Il y a le feu partout! Vive le feu, vive les fous! »

Les braises

Depuis longtemps, je m’interroge sur le rôle/la fonction du graphisme et du graphiste dans nos sociétés, au-delà du marchandage d’images pour la consommation ou les services. J’estime qu’il y a un réel potentiel à développer pour le bien commun, car en tant que professionnel de la communication visuelle, nous avons un pouvoir : celui des images, celui des mots, celui de transmettre, véhiculer des messages qui parlent visuellement au plus grand nombre. Pourquoi se contenter de faire des pubs pour McDo ou des logos d’entreprise ? Ne pourrait-on pas utiliser ce pouvoir pour protester et apporter de vraies réflexions, voire des solutions, au plus grand nombre?

À une autre époque en France, il y a eu mai 68, puis Grapus, collectif graphique engagé, mais depuis que se passe t-il? Car actuellement, il y a tant de causes à défendre, de choses à dénoncer, à critiquer, à abattre, à (ré)inventer. Nous sommes à un carrefour des civilisations où chaque action a encore plus d’impact sur notre futur qui demeure de plus en plus incertain et chaotique. Le climat, la politique, les violences policières, la (sur)consommation, les inégalités, les injustices et j’en passe, sont autant de choses à porter visuellement. Peut-être avons nous un devoir en tant que citoyen et graphiste, celui de l’engagement, de porter nos convictions personnelles à un autre niveau, car nous sommes de plus en plus nombreux à nous révolter, et c’est une tendance qui s’accroît de jour en jour.

J’ai commencé à analyser le graphisme à travers des mouvements de protestation récents (Hong Kong Protest, les Gilets Jaunes -entre autres), et c’était très dur pour moi de choisir UNE seule cause à défendre. De même que dans ces mouvement de protestation, il y a désormais trop de points à défendre/dénoncer. J’avais pensé au début d’année à créer un outil à destination de tous ces enragés, ces révoltés, une sorte de place publique graphique. J’avais dans l’idée de développer la communication, les informations, d’imaginer des symboles forts et rassembleurs, à la manière du logo d’Extinction/Rébellion qui a une forte identité. Une autre grande référence à mes yeux est Adbusters, « un réseau global d’artistes, d’activistes, d’écrivains, de farceurs, d’étudiants, d’enseignants et d’entrepreneurs qui veulent entraîner le nouveau mouvement de l’activisme social à l’ère de l’information». J’aime beaucoup leur langage graphique, visuellement assez brut, punk, expérimental, dénonciateur avec une touche d’humour, cynique, pamphlet graphique…

Puis la crise du covid est arrivé, et je me suis retrouvé seule, révoltée entre 4 murs, sans possibilité de voyager et d’aller à la rencontre de ceux avec qui je voulais développer mon super-pouvoir de graphiste militante. J’ai du repensé toute mon approche seule tout en gardant ma rage.

ouh le feu

ZÀB?

Il existe de plus en plus de ZÀD.Zone à défendre, mais je me suis dit qu’a contrario, il y avait sûrement des Zones à attaquer ! Lors de mes recherches graphiques, je me suis demandé comment je pouvais attaquer visuellement des symboles forts, des endroits (structures) des pouvoirs à attaquer. Après plusieurs résultats où j’ai déchiré, poignardé, tabassé et compagnie, je me suis naturellement dirigé vers le feu, car j’ai des tendances pyromanes, et que le feu c’est cool, ça crâme vite, ça réchauffe, on s’immole pour protester, on dézingue totalement un endroit par les flammes, mais on peut aussi renaître de ses cendres… Voilà comme est né le concept des ZÀB.Zone à brûler !

J’ai aussi expérimenté la typo, avec des cendres, des allumettes, et co, mais je me suis décidé pour d’une part une typo manuelle, vandale, de rue, un peu maladroite et dégoulinante mais qui transmets bien cette spontanéité quand on a la rage et qu’on veut cramer des trucs. D’autre part, j’ai opté pour la typo la plus fat et metal que j’ai pu trouver pour mon logo, une font bien lourde, comme un pavé dans la gueule. Et puis j’ai acheté de l’essence et des allumettes…

Zik : Cobra - Des lieux associatifs pour les jeunes

Dasibao visuels

Les dasibao chinois m’ont fortement influencé car c’est un support que je trouve interessant : populaire, grand format vertical, affichage urbain, accessible et très vite impactant (on les voit de loin, ça attire l’oeil). Visuellement, cela joue avec la verticalité et la typographie (ou plutôt calligraphie), les feuilles sont quasi saturés de mots, de phrases, d’informations.  Mais je me suis rendue compte que je préférais cramer des images, et je suis partie sur des dasibao visuels, saturés d’images fortes en feu, en jouant aussi avec la répétition, saccadé comme une pellicule de cinéma. De plus, j’ai décidé de rendre mon journal de pyromane publique en l’affichant dans la ville, où je pouvais. D’ailleurs, pendant mes zonages de repérage, je me suis rendue compte de la difficulté de la réappropriation urbaine en tant qu’artiste ou citoyen car il n’existe pas ou peu de zones où on peut afficher légalement. Nos villes si propres seraient-elles devenues si muettes?

Plusieurs de mes affiches ont été retirées/karcherisées quelques heures après leur affichage, mais j’ai mitraillé mes séances d’affichage pour en garder une trace. Je ne voyais pas mes dasibao de 2m40 sur 60 cm ailleurs que dans l’urbain, pour lequel elles ont été créées. J’ai essayé de choisir des lieux stratégiques, avec du passage afin qu’elles soient vues, en espérant qu’elles ne se fassent pas arracher tout de suite. J’ai choisi le kiosque d’affichage publique (le seul à Liège) place Saint Léonard, un panneau JC Decaux déjà vandalisé Place du Congrés (Outremeuse), une ancienne banque condamné à louer place de l’Yser (Outremeuse), et j’ai hacké un kiosque d’affichage de la ville de Liège place Sainte-Véronique (près des Guillemins).

Enfin, j’ai créé un logo de flamme bête et méchante afin d’apporter une touche de couleur et d’en faire un symbole fédérateur reconnaissable facilement.

scénographie urbaine avec des flash

Manifeste

En tant que pyromane militante, j’en appelle à mes semblables et à tous les citoyens du feu !

À TOUS LES CITOYENS, À TOUS LES PYROMANES,

LEVONS-NOUS ET EMBRASONS LE MONDE ! Cramons les commissariats, incendions les banques, immolons les centrales, brûlons notre argent, enflammons les politiques et le pouvoir, foutons le feu aux magasins et aux fast-food,  et tous ces endroits qui nous rendent esclaves d’un système consumériste, capitaliste, monétaire et politique.
ZÀB partout, le feu nous appartient !

C’est une forme de nihilisme enflammé dans la violence d’un feu de camp, vulgaire et brut. Mon discours se veut clairement anti-capitaliste, anti-consumériste, anti-politique,…. Concernant le choix des endroits à incendier, j’ai donc dressé une liste non-exhausive :

  1. La police et par extension les commissariats et compagnie, en référence à la répression et aux violences policières.
  2. Les centrales nucléaires, cf le climat, la pollution (on peut extrapoler aux voitures, lobby pétrolier, à la pollution des usines..)
  3. Les Fast-food, symbole de la société de sur-con-sommation, acheter vite et « mal » et les super-magasins-marché.
  4. Les pouvoirs politiques, où là je crame des dirigeants, marionnettes-symboles des pouvoirs qui gangrènent les société par leurs décisions et comportements publiques..
  5. Les banque, symbole du système monétaire et capitaliste qui se casse la gueule
toujours des flash dans la gueule

Fanzine Molotov

J’ai ensuite décidé d’investir ma démarche dans un fanzine que j’ai nommé Molotov car c’est un support qui peut se répandre plus facilement dans des lieux militants, a contrario du dasibao qui cible un public urbain et concentré dans une certaine zone géographique. Je le vois comme un tract amélioré, diffusant les braises d’un délire pyromane militant, et puis  c’est pas cher ni très compliqué à mettre en place, un bon point dans la diffusion des idées à destination de tous les enragés. J’y ai intégré quelques paroles du morceau « Vive le feu! » des Béruriers Noirs.

À enflammer…

Il est évident que mon jury reste expérimental (dans les supports, le langage graphique) et que je n’ai pas su aborder tous les thèmes/endroits méritant d’être cramé. Manque de temps, de moyens, j’ai dressé une liste non-exhaustive d’endroits à attaquer, mais c’est un projet que j’aimerais continuer à développer, peut-être l’aube d’un nouveau mouvement de contestation pyromane ?