Le projet Un pied d’vant l’autre a vu le jour au cours de l’année 2019, en parallèle de la réalisation de mon mémoire. À la fin de mon master 1 à Saint-Luc, on m’a demandé de choisir un sujet, un sujet pour lequel j’avais une affinité particulière, un feeling spécial mais, surtout, que j’avais envie de traiter. Et ça, mine de rien, c’était pas le plus simple !

Je me suis longtemps intéressée à la notion d’espace, d’ailleurs les études de design que j’ai menées auparavant m’y ont un peu confronté. Je suis, donc, partie sur cette notion : sur l’espace, sur le rapport à l’espace, son organisation, la déambulation, l’orientation des usagers, etc. Mais, c’était un peu vaste, pas très précis et, surtout, j’avais du mal à m’y retrouver ; alors, avec l’aide de mes professeurs, j’ai affiné, affiné, affiné pour, finalement, trouver. J’ai décidé de me concentrer sur le rapport à l’espace, sur comment on peut le percevoir, le comprendre, l’appréhender et, j’ai souhaité reprendre au début de cet apprentissage : la période de l’enfance. Le cas de l’enfant, en pleine création et mutation de ses rapports spatiaux, me paraissait être un axe de recherche pertinent et, avec une matière théorique fournie. Mais, encore une fois, je devais m’attarder sur le choix de l’environnement ; en effet, pour comprendre et expérimenter l’espace avec les enfants, il était nécessaire d’en choisir un. L’espace scolaire m’est apparu comme idéal : un lieu commun aux enfants, régi par des règles collectives. 

Atelier de co-création avec les élèves - Phase de travail avec la classe entière

J’avais, donc, mon sujet principal de recherche ; je souhaitais expérimenter l’outil graphique comme une aide à la compréhension des espaces, à l’appréhension des espaces par les élèves. La méthode de la co-création m’a, de ce fait, paru être complètement adaptée à mon sujet ; les enfants pouvaient produire, à mes côtés, leurs propres matières graphiques tout en assimilant un chemin réflexif de création. Adaptée à ce contexte, cette méthode permet de s’abstraire des problèmes de compréhension graphique et permettre une pensée sur l’espace, sa compréhension, son appropriation. Je me suis, donc, questionnée : comment une co-création graphique peut aider l’enfant à circuler dans son espace scolaire, à devenir acteur de ce dernier, à entretenir un nouveau genre de rapport ? Le projet Un pied d’vant l’autre, c’est une recherche-action-création qui permet de lier les apports théoriques du mémoire, aux recherches sur les différents terrains d’investigation. En ce sens, les objectifs initiaux de ma recherche ont pu se modifier, se moduler et même, littéralement, changer au fil de mon travail.

Pendant toute cette année scolaire (on va plutôt dire à partir d’octobre/novembre, le temps de se mettre en place jusqu’en mars du fait de la crise sanitaire), je me suis rendue dans plusieurs écoles de la région Liégeoise et Nivelloise pour visiter, rencontrer des enseignants, des élèves, comprendre le fonctionnement des écoles, de l’espace scolaire. Je me suis rendue, principalement, dans trois établissements où j’ai mené mes investigations de terrains : questionnaires, observations participatives, enquêtes. Je ne vais pas m’attarder sur cette partie théorique, présente dans mon mémoire, mais, cette compréhension du terrain, en amont, m’a permis d’expliciter les enjeux de ma recherche, les spécificités selon le lieu tout en me permettant de commencer la création de mon protocole d’intervention. Ce dernier est, par ailleurs, complètement adapté à l’école avec laquelle j’ai principalement collaboré.

Au fil de l’année, j’ai mené plusieurs ateliers regroupés en 3 séquences de travail ; les enfants et moi, on a testé plusieurs outils pour représenter l’école, pour la voir différemment avec des cartes collectives, des cartes individuelles, des pictogrammes, des lectures d’album, etc. Je ne vais pas m’attarder sur le pourquoi du comment mon protocole fonctionne, je vous l’expliquerais dans la partie dédiée à cette méthode. Ici, on va plutôt voir les résultats (juste quelques-uns) que j’ai pu obtenir en travaillant auprès des élèves.

Productions des élèves à partir d'un champ lexical lors des phases d'ateliers de co-création - Première phase du travail
Collages réalisés selon les sentiments des élèves dans leur environnement - Deuxième phase de travail
Collage de formes selon le sentiment choisi par l'élève - couleurs et formes

Les ateliers de collages d’émotions et de collages de formes ont permis aux enfants, dans un premier temps, de prendre en compte leurs émotions, leurs sentiments, leur bien-être dans leur environnement scolaire tout en l’exprimant graphiquement. Dans un second temps, et au fil des ateliers, ils ont pu percevoir l’espace par le biais d’une notion connue, comprise : leur propre ressenti.

Dans l'ordre d'apparition : tristesse, peur, amitié, colère, joie, ennui

Les élèves, et moi-même, avons réalisé un système signalétique basé sur 6 émotions qu’ils ressentent au sein de leur environnement scolaire ; la création de formes a été effectué grâce à l’assemblage des collages, précédemment créés par les enfants. Les couleurs ont, quant à elles, été décidé selon les préférences des élèves. Disposées dans l’établissement scolaire, ces formes sont censées être représentatives d’un nouveau genre de rapport à l’espace pour l’enfant.

Au cours de la réalisation de mes ateliers, une volonté des enfants a pu être mise en avant : la création d’espaces privilégiés qu’ils pourraient investir. C’est ainsi que l’idée de cabane a pu germer. Ces cabanes à émotions s’ajoutent au système signalétique coloré afin de lui fournir une identité forte et complète ; tout en fournissant un espace privé, réservé aux élèves. Fonctionnant comme des exutoires de sentiments, l’aménagement des cabanes permet de mettre en lumière le ressenti en question.

La cabane de l'amitié permet aux élèves de partager un moment, un espace, un instant. Les activités se trouvant à l'intérieur permettent de promulguer la collaboration, l'entraide, le partage autour du jardinage, de séance d'expression artistique, de jeux collectifs.
La cabane de la colère fonctionne comme un défouloir, une boîte à cri, où chaque élève est à même de laisser s'exprimer son ressenti ; l'enjeu n'est pas de contenir ce sentiment mais, de le laisser sortir.
La cabane de l'ennui essaie de stimuler l'enfant s'il le désire tout en lui laissant l'opportunité de, simplement, s'ennuyer. Elle se compose d'un coin d'exposition, d'un mur entier dédié au coloriage ainsi que d'un mobilier cubique, totalement modulable.
La cabane de la joie essaie de susciter le bonheur chez l'enfant ; elle est composée d'un journal des bonnes nouvelles de la semaine version XXL, d'un coin de lecture, d'un espace de jeu ainsi que d'un distributeur de sourires.
La cabane de la peur a pour enjeu de "dédramatiser" ce sentiment, de le rendre acceptable et sans aucune honte : tout le monde peut avoir peur. Comme une poubelle géante, les enfants choisissent de jeter leurs peurs de manière fictive ou bien réelle via des représentations graphiques. Il est également possible de les exposer sur un pan de la cabane afin de s'y confronter.
La cabane de la tristesse a une double fonction : laisser l'enfant aller à son sentiment tout en cherchant à le réconforter. En ce sens, elle contient : un rideau de tissu qui permet de s'isoler comme d'être entouré comme dans un cocon, des livres/albums, des coussins, des peluches, des gri-gri.

La méthodologie de travail employée dans cette recherche-action-création a une place prédominante dans le traitement de ce sujet ; en ce sens, il m’a été indispensable de tester, de comprendre le terrain, d’investiguer, directement, aux côtés des acteurs de l’école. Par la suite, j’ai pu créer un protocole de travail, adapté et personnalisé au lieu d’investigation ; en ce sens, chaque étape de cette méthode a été pensé selon des objectifs initiaux, puis modifié selon mes observations et, encore, nuancé selon les résultats obtenus.

La méthode en entier, c’est par ici !

Ces livrets pédagogiques sont des outils dits pratiques à destination des écoles, des lieux d’enseignement, et plus précisément, des professeurs. J’ai choisi de diviser le contenu en 4 formats : les enjeux du travail, le déroulé des ateliers de co-création, une galerie de productions réalisées dans le cadre de cette recherche ainsi que des protocoles, détachables, à utiliser dans le cadre d’un projet en classe.

 

Ce support numérique permet d’offrir une autre visibilité à cette recherche tout en la rendant accessible ; en effet, la condition sine qua non d’être professeur pour bénéficier d’informations sur le sujet n’est plus de mise. Le site internet fournit une explication complète du sujet, des objectifs, du déroulé des ateliers, des protocoles téléchargeables.  Il existe, également, une plateforme collaborative où l’échange, la discussion, les nouvelles idées permettront au projet de grandir, de se modifier, de s’adapter.  Le contenu étant complètement open-source, ce support numérique permet de faire vivre le projet au-delà des murs de l’école tout en permettant à de nouveaux acteurs d’intégrer cette recherche.

Les éditions-souvenirs sont une série de mini-formats permettant de retracer les différents résultats obtenus au cours des ateliers de co-création. Au nombre de 5, les éditions sont séparées en plusieurs catégories selon le thème de l’atelier ; dessin libre, collage, pochoir, émotion, formes, couleurs. Plus que de simples galeries d’exposition papier, ces éditions permettent de promulguer le graphisme comme moyen d’expression, de création pour l’enfant.

Le kit Un pied d’vant l’autre est distribué à chaque élève de la classe ; il fournit des tot-bag, des badges permettant d’arborer ses sentiments fièrement tout en les comprenant, les ressentant. Idéalement, chaque kit est, également, composé de minis peluches de la forme de la signalétique. En prenant cette fonction de peluche, les formes se personnifient, peuvent être comprises par les élèves ; la possibilité de les personnaliser est également donnée aux élèves s’ils le désirent.

Si une exposition avait pu se tenir, une scénographie aurait été nécessaire ; de ce fait, j’ai pensé à une ébauche de disposition, d’agencement de mon jury. En ce sens, les cabanes ainsi que la signalétique colorée auraient été disposées dans l’espace d’exposition en créant comme un parcours ludique et didactique avec, à chaque entrée, une explication sur l’aménagement, le sentiment en question. À la fin du parcours, un mur recouvert des productions des enfants permettrait de découvrir la matière graphique des ateliers ; parallèlement, les éditions, le kit ainsi que les livrets seraient présentés.

Cette recherche-action-création s’est, profondément, modulée au fil de l’année ; en effet, j’ai dû complètement adapter ma matière théorique aux terrains dans lesquels j’intervenais, prêter attention à chaque donnée que je pouvais récolter, tout en construisant un protocole de travail adapté. C’est d’ailleurs là tout l’enjeu d’une recherche-action-création : partir d’hypothèses générales pour les spécifier, les adapter, les réaliser puis encore les nuancer. Mais, également, s’éloigner, un tant soit peu, de la notion originelle pour découvrir, entreprendre, une vision différente du sujet : mes essais graphiques sont passés par l’utilisation d’outils conventionnels (cartes, pictogrammes, dessin, collage, etc) pour finalement entreprendre une vision nouvelle de l’espace. La notion de co-création a été très importante pour ce cheminement : il me semblait totalement nécessaire d’avoir le point de vue de l’enfant, son ressenti, sa vision ; après tout n’est-il pas le principal concerné par cette recherche ? Mais, cette volonté m’a, également, mise en danger ; je n’étais pas habituée à cette manière de travailler, je n’étais pas, non plus, une spécialiste du développement de l’enfant ou, encore, de la pédagogie. Cependant, j’ai pris goût à cette vision du graphisme, à cet investissement personnel et aux actions de terrain. Je pense proposer une vision de ma recherche : pas une réponse universelle, non, une proposition de solution que les enfants, les enseignants et moi-même, ensemble, nous avons pu créer et produire.

Il me semble nécessaire de remercier, tout particulièrement :

les directrices d’écoles qui m’ont accueilli, conseillé, documenté,
les enseignantes qui m’ont soutenu, orienté, aidé,
et, les enfants qui ont participé, créé et m’ont fait découvrir une nouvelle manière d’appréhender le métier de graphiste !